L'université de médiévale de Toulouse
DE SA CRÉATION À SON EXPANSION AUX XIIIe et XIVe SIÈCLE
C’est à une visite du bourg médiéval Saint- Sernin que nos visiteurs : « Anciens et Amis du CNRS » sont conviés. Elle va prendre la forme d’une promenade sur les lieux où s’installèrent, au XIIIe siècle deux ordres mendiants et savants : les Dominicains et les Franciscains.
QUE SAVONS-NOUS DE LA FONDATION DE L’UNIVERSITÉ ?
Elle a été fondée dans un contexte politico-religieux très particulier, notamment celui de la lutte contre l’hérésie cathare qui s’était développée dans l‘ensemble du vaste domaine des comtes de Toulouse.
La croisade contre les Albigeois ou Cathares menée par les armées de Simon de Montfort, un chef de guerre venu des terres du pays d’oil, encouragé par le Pape et le Roi, prendra une tournure dramatique pour le comte Raymond VII le 12 septembre 1213, avec la défaite de ses armées et celle de son allié : Pierre d’Aragon, à Muret, dans l’actuelle banlieue toulousaine. En 1229, le traité de Meaux ou de Paris, imposé par Louis IX et Blanche de Castille, signe cette défaite. Le comté de Toulouse va bientôt rentrer dans le giron des rois de France.
La papauté exige alors la création d’une université. Il est urgent de donner une solide formation théologique aux hommes d’église chargés de la prédication, pour éradiquer l’hérésie. Le comte de Toulouse est sommé de payer pendant 10 ans, l’entretien de 10 professeurs.
Déjà dès le Xième siècle, des Papes s’étaient émus devant la médiocrité morale et intellectuelle de nombreux prêtres, incapables de divulguer la foi chrétienne. Leurs mœurs étaient bien peu exemplaires. Quelques-uns se livraient à la vente des sacrements ou « simonie », d’autres vivaient en concubinage ou « nicolaïsme ». Leur crédibilité était largement attaquée dans les fabliaux et le sera encore au XIIIe siècle dans Le Roman de Renart, où ils sont la risée du peuple. Enfin, le train de vie fastueux de certains cardinaux issus de la grande noblesse choquait plus d’un croyant. Il était urgent de réagir.
La visite commence par la découverte de l’église des Jacobins ou Dominicains et de son cloître. Le nom « Jacobin » renvoie au nom de la rue parisienne « jacobus » qui bordait le couvent.
De l’immense construction, il ne reste que l’église et le cloître. Le réfectoire, les cellules des moines, la bibliothèque, le scriptorium ont disparu, victimes des aléas de l’Histoire et de plusieurs incendies et destructions. L’architecture extérieure frappe par son austérité en relation avec le mode de vie des « frères ».
Son édification s’est poursuivie jusqu’au XIVe siècle. Les prédications des Dominicains attirant les foules, plusieurs campagnes d’agrandissement sont nécessaires avec la création et l’élévation des voûtes gothiques, le clocher qui s’élève à 45m renferme la cloche de l’université. Les colonnes en palmier font la célébrité de ce lieu. La plus connue se déploie sur 22 nervures d’une exceptionnelle élégance. Leur positionnement central, inattendu, délimite deux espaces : l’un réservé aux fidèles côté ville, l’autre dédié aux « frères », côté couvent. Chacun peut être sensible à la lumière colorée que renvoient vitraux et enduits.
Une halte devant le reliquaire de Saint Thomas d’Aquin (1224-1274) dont la dépouille fut transférée, en 1369 aux Jacobins en Avignon par le Pape Urbain. Sa « Somme théologique » est un des ouvrages majeurs prémédiévale. Ce dominica Toulouse mais le Pape qui avait étudié en ces lieux choisit l’église pour sa beauté exceptionnelle, seule digne de ce grand théologien. Le prestige de l’université atteignit alors, au XIVe siècle, son apogée.
Saint Thomas dit « le Docteur angélique » est le patron des universités, voici une prière fort intéressante reprise par des générations :
« Donne-moi la pénétration de l’intelligence,
La faculté de me souvenir
La méthode et la facilité de l’étude
La profondeur dans l’interprétation
Et une grâce abondante d’expression »
Revenons à l’histoire de l’université et à l’ordre des Dominicains ou ordre des « Frères prêcheurs ». Elle a été la création des « Dominicains », ordre savant fondé par Dominique de Guzman (Saint Dominique 1173-1221). Celui-ci avait été envoyé dans le comté toulousain tout comme Bernard de Clairvaux pour prêcher la conversion des hérétiques.
Imprégnés de l’idéal de pauvreté évangélique, les Dominicains suivent la règle de Saint Augustin (IVe siècle) : chasteté, pauvreté et obéissance. Leur communauté est dirigée par « un prieur ». Ce sont des « chanoines » et non des « moines » cloîtrés dans un monastère. Leur mission est de divulguer par la prédication et l’enseignement la pensée chrétienne. Ils circulent à travers le pays, enseignent dans d’autres universités.
L’ÉDIFICATION DES BÂTIMENTS CONVENTUELS
En 1229, des terrains furent cédés par de puissantes familles, dans » le bourg Saint Sernin », près de l’actuelle place du Capitole, pour l’édification d’un immense ensemble conventuel, siège de l’université dont il ne reste que l’église et le cloître. L’université comme celle de Paris était sous la triple autorité d’un chancelier, homme d’église, d’un recteur, juriste ou homme de sciences et d’un conseil d’université. Elle échappait totalement à la tutelle des administrateurs de la cité : les Capitouls et ne relevait que de la justice ecclésiale. Ainsi en avait décidé le Pape, ce qui favorisera son autonomie, notamment dans le choix des enseignants et des programmes.
Elle comportait en son sein une « scola » destinée à entraîner à la prédication, un « studium » qui formait à la théologie les futurs « lecteurs « ou professeurs et un « studium generale », privilège des grandes universités médiévales de niveau supérieur. Elle accueillait des frères de toute l’Europe, divulguant ainsi ouvrages et savoirs.
La bibliothèque de l’université était très importante, elle comptait 18000 livres à la Révolution. Les Dominicains faisaient circuler les textes. « Les livres sont nos armes… il faut savoir les multiplier » (Grégoire IX Pape). Ils furent commanditaires de nombreux manuscrits et textes imprimés par la suite. Beaucoup de livres sont perdus, qu’ils aient été empruntés ou égarés. Mais on ne vole pas les livres au risque de très graves sanctions y compris l’excommunication. Ce qu’il en reste fut éparpillé, au moment de la Révolution, en divers lieux de Toulouse avant d’être rapatrié à la Bibliothèque du Patrimoine, rue du Périgord. Ils sont encore l’objet de recherches et de reconstitutions quand il ne reste que des fragments dispersés.
L’ENSEIGNEMENT
L’enseignement se fait en latin, langue qui sera celle de tous les « lettrés » pendant plusieurs siècles. Il s’appuie sur la Vulgate, traduction latine de la Bible de Saint Jérôme (IVe) et les nombreux commentaires des Pères de l’Eglise : St Ambroise de Milan (340-397) St Jérôme (347-420), St Augustin (354-430), St Grégoire-le-Grand (540-604). En comparant leurs différentes interprétations, le clerc Pierre Abélard (XII) releva des contradictions, démarche qui lui valut la violente réprobation de ses pairs. C’était le début de l’exégèse.
Un ouvrage en particulier guide la formation théologique des étudiants : Le Livre des Sentences de Pierre Lombard dont on possède à Toulouse un exemplaire.
Mais la culture profane n’est pas oubliée – qui cependant relève d’un monde polythéiste. On lit Ovide, Tertullien, Cicéron, Horace, Virgile et les auteurs grecs à travers les traductions.
« Nous sommes des nains sur des épaules de géants » écrivait au XIIe siècle Bernard de Chartres, représentant d’une école urbaine de premier plan.
Ils se référaient, également, à travers diverses traductions, à ces grands passeurs du savoir de langue arabe, que furent Averroès, Avicennes (XIIe s.) Leurs connaissances en médecine, algèbre, alchimie, philosophie exercèrent une influence notable sur la pensée médiévale et l’enseignement des Dominicains.
La scolastique organise les études de l’université de Toulouse comme pour toutes les universités du royaume et à l’étranger. Elle vise à concilier la pensée grecque et la foi chrétienne. L’aristotélisme imprègne le savoir : il n’y a pas de contradiction entre la raison et la foi. Tout ce que la raison, le savoir profane permettent de connaître ne font que confirmer la grandeur de la création divine.
L’enseignement se structure autour de la connaissance des « arts libéraux » en deux étapes : le « trivium » consacré à l’étude des lettres : grammaire, rhétorique, dialectique, savoirs indispensables pour former de bons prédicateurs. Vient ensuite, de niveau supérieur, le « quadrivium » tourné vers la connaissance des nombres : arithmétique, géométrie, astronomie, musique.
Deux exercices sont valorisés : la « lectio » des textes en latin, assurée par le maître et la « disputatio » au cours de laquelle l’étudiant confronte ses savoirs à l’enseignement du maître en présence d’un auditoire.
Ce mode d’enseignement perdurera tout au long des XIVe et XVe siècle. Il sera discrédité pour son caractère autoritaire qui laisse peu de place à la réflexion personnelle et par l’évolution des connaissances. « Savoir par cœur, n’est pas savoir », ou « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrit le moine Rabelais au début du XVIe s.
Les études durent entre 4 et 8 ans : le premier grade est celui de « bachelier », le second de « licencié » et enfin les étudiants les plus brillants deviennent « docteurs ».
LA RENOMMÉE DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE
Elle est due à la faculté de droit canonique et civil. Les Doctore Tholosani développent l’enseignement du droit romain, qui progressivement se substitue au droit coutumier variable selon les régions. La France est alors une mosaïque de régions, de dialectes, de féodalités. Ce droit fait pour l’ordre, impose des règles communes à tout le royaume et favorise la centralisation des pouvoirs. Il séduit donc et la monarchie et la Papauté pour les mêmes raisons. En outre, plusieurs étudiants devenus des jurisconsultes de premier plan favorisent son extension lorsqu’ils conseillent les rois Louis IX, Philippe Le Bel et les Papes. Leur pouvoir s’accroît avec l’installation des Papes en Avignon. Certains d’entre eux, comme le cadurcien Jean XXII, le limousin Innocent VI ou le périgourdin Urbain V sont issus de l’université toulousaine.
Ce droit organise encore nos sociétés. Pour l’historienne Régine Pernoud, il va écarter pour des siècles les femmes du pouvoir et favoriser l’émergence d’une société fortement patriarcale. « Pour en finir avec le Moyen-Âge »
QUI SONT LES ENSEIGNANTS ?
Au départ, deux d’entre eux, au moins, viennent de l’université de Paris qu’ils ont quittée à la suite de querelles compromettantes. Mais leur rigidité, dans un pays qui vit très mal la mainmise des hommes du nord sur le comté, est mal perçue. Ils sont assez vite expulsés.
D’autres, au fur et à mesure que l’université acquiert du prestige viennent d’universités étrangères, de Crémone, d’Angleterre car l’ordre des Dominicains a largement essaimé. Ce sont de grands théologiens ou des jurisconsultes de premier plan. On retient le nom du professeur de droit romain : Jean Bodin (XVIe s.) qui a influencé l’histoire intellectuelle de l’Europe par ses théories économiques. Certains noms sont connus des Toulousains du XXIe siècle comme Arnaud Bernard Arnaut BENAT) qui a une place dans la ville ou Jacques Cujas dont la statue se trouve devant le Palais de justice, Place du Salin ou Guillaume Duranti. : « Le cercle Duranti » est situé, en centre-ville, rue du Colonel-Pélissier. Mais peu de Toulousains savent de qui il s’agit !
En avançant sur la rue des Lois, on s’arrête devant la salle capitulaire des Cordeliers à l’architecture gothique remarquable. Rebaptisée « Forum des Cordeliers », elle est devenue un lieu d’expositions. La célèbre « chapelle de Rieux », commandée par le quercynois Jean Tissandier, le puissant évêque de Rieux-Volvestre, a été détruite. Elle n’est connue que par des lithographies. Le couvent a subi bien des mésaventures, saccages, pillages, incendies, effondrement de la voûte, vente des matériaux malgré les protestations des Toulousains notamment, en 1820, celles d’Alexandre du Mège, inspecteur des Antiquités de la Haute Garonne. A cette époque, le couvent était occupé par les militaires -comme celui des Dominicains- et servait de réserve à fourrage facilement inflammable.
La rue des Lois rappelle, par son nom, le prestige de nos jurisconsultes. Au XXe siècle, les facultés de droit et de lettres se trouvaient au bout de cette rue.
Nous suivons la rue de l’Esquile où se trouvait un « collège ». L’esquile » est le nom de la cloche du couvent qui réglait la vie communautaire. La rue du Taur qui la croise, rappelle le martyr de Saint-Saturnin, premier évêque de Toulouse (IIIe s) et donne sur la basilique du même nom.
LES COLLÈGES MÉDIEVAUX
Ils étaient au moins une douzaine dans ce quartier, d’importance variable, logeant de 5 à 25 étudiants. C’était des lieux d’hébergement et non d’enseignement, pour des étudiants boursiers, choisis dans leur région, par les fondateurs de ces maisons, hommes d’église puissants et riches.
Beaucoup de ces collèges ont disparu. Leur nom survit dans les noms de rues : rue de l’Esquile, rue du Périgord ou encore le collège Saint- Raymond, place Saint- Sernin, qui fut d’abord un hospice attaché à la basilique. Il abrite maintenant le musée du Patrimoine de la région.
Nous nous arrêtons devant le Collège de Foix fondé, au XVepar le cardinal de Foix. Il hébergeait 25 boursiers triés sur le volet. On découvre ce qu’il en reste, caché derrière un haut mur ; ses échauguettes, son architecture imposante en briques cuites, ses fenêtres à meneaux nous disent qu’il s’agissait d’un des plus grands collèges du quartier.
Sur la rue du Taur, Le Collège du Périgord, fut édifié par le puissant cardinal Talleyrand, qui accueillait des « escholiers pauvres », « ni handicapés, ni esclopés, ni pestiférés », « bons chrétiens ». Sage façon de contrôler la jeunesse, de former pour son service une élite administrative et religieuse compétente, reconnaissante et utile si elle était bien placée ! A l’intérieur se sont installés les locaux d’une école de cinéma et l’on découvre dans la première cour les vestiges en bois d’un bâtiment heureusement préservé du terrible incendie de 1423 qui ravagea la ville pendant 12 jours.
QUELQUES MOTS POUR FINIR SUR LA VIE ESTUDIANTINE
Elle pouvait être très agitée car les étudiants échappaient, par décision papale, à l’autorité des édiles de la ville, les Capitouls mais aussi à celles du pouvoir comtal et plus tard royal, logé fort loin, au château narbonnais, à l’emplacement de l’actuel palais de Justice, place Saint Michel. En relevant de la seule justice ecclésiastique, ils bénéficiaient d’un climat d’impunité fort préjudiciable à la tranquillité de la cité.
Volontiers contestataires à l’égard de tous les pouvoirs y compris celui de leurs maîtres, certains menaient une vie agitée dans les cabarets de la ville suscitant souvent l’hostilité des habitants. Rabelais qui passa rapidement par Toulouse écrit qu’ici, on « apprenait fort bien à danser et à tenir l’épée à deux mains » … Il n’y demeura guère lorsqu’il » vit qu’ils faisaient brusler leurs regens tout vits comme harans soretz ».
Déjà, en 1335, un étudiant de bonne famille : François de Gaure coupa « le nez et la mâchoire inférieure » d’un Capitoul appelé par les habitants à la suite de la mauvaise conduite des étudiants. Arrêté par les hommes d’armes des Capitouls, il fut condamné à mort. Mais l’affaire prit un autre tour quand le Pape s’en mêla, rappelant que les étudiants dépendaient de son seul tribunal. La ville tout entière dut se soumettre et fut lourdement punie « pour avoir violé la sauvegarde que le Roi avait accordé aux étudiants de Toulouse ». L’étudiant meurtrier fut réhabilité ! Autre fait de 1540, « les études », sur l’actuelle rue Lautmann, sont incendiées.
Beaucoup de ces jeunes appartenaient à la noblesse ou à la bourgeoisie et usaient des privilèges de leur classe.
Mais on peut penser qu’ils savaient profiter des richesses intellectuelles de la ville, de ses concours de poésie. Toulouse est la ville des troubadours dont ils étaient proches par la langue d’oc.
EN CONCLUSION
Par le nombre de ses étudiants et la notoriété de ses maîtres, l’université toulousaine était considérée au XIVe siècle comme la deuxième université du Royaume.
Le « bourg Saint- Sernin », véritable quartier latin médiéval est encore, en 2023, un lieu d’enseignement majeur, avec plusieurs établissements scolaires publics et privés prestigieux, de nouvelles facultés à proximité : faculté de droit et sciences sociales, l’école d’économie (Toulouse I Capitole), l’école de commerce (TBS) une école d’art cinématographique ENSAV située dans l’ancien Collège de Périgord.
Au XXIe siècle, Toulouse s’avère un grand centre universitaire, le second de France au dire de certains, au moins par le nombre d’étudiants, ses facultés, ses écoles d’ingénieurs ou de commerce, ses laboratoires de recherche bien connus de nos visiteurs.
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